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S C I E N C E On a localisé la musique dans le cerveau
Un chercheur italien vient de découvrir que nos choix musicaux ne sont pas forcément une affaire de goût ou d'éducation, mais une question de conformation cérébrale. Entre les lobes frontaux et temporaux.
PAR GENEVIEVE GRIMM-GOBAT
Quel festivalier ne s'est jamais demandé ce qu'il partageait avec les milliers de personnes réunies par un type bien particulier de musique? Pourquoi préfère-t-on la techno à l'opéra, le rap au jazz ou à la musique militaire?
Pour Pierre Bourdieu, sociologue de référence en la matière, les goûts fonctionnent comme facteurs d'intégration, attestant l'appartenance à une classe. Education, âge, milieux social, économique, culturel, géographique, font de vous des adeptes du Festival de Verbier plutôt que de celui de Nyon, de Bayreuth ou de Montreux. Or si l'on accrédite la thèse d'un neurologue italien, il conviendrait d'y ajouter une nouvelle dimension: une conformation bien spécifique de notre cerveau.
En effet, en observant deux patients atteints de démence, le Professeur Giovanni Frisoni, du Centre de recherche sur la maladie d'Alzheimer, à Brescia, a eu la surprise de constater qu'ils avaient subitement développé un goût immodéré pour la musique pop!
Un des patients, un avocat de 68 ans, avait perdu progressivement sa capacité à raisonner de façon abstraite. Or, deux ans après le diagnostic, il s'est mis à écouter à plein volume un musique qu'il avait jusque là toujours qualifiée de «bruit».
L'autre, une femme de 73 ans, a fait preuve, après un an de maladie, d'un intérêt nouveau pour la musique écoutée par sa petite fille de 11 ans: des tubes pop également.
La revue «Neurology» (55(12):1935-6) a publié les fruits de cette découverte qui lève un bout de voile sur la localisation cérébrale de nos préférences musicales. En l'occurrence, une région située entre les lobes frontaux et temporaux.
Nos goûts musicaux seraient donc déterminés par la conformation de notre cerveau que des lésions pourraient modifier.
Ainsi, les changements brusques de goûts musicaux pourraient constituer un symptôme de démence. «Ce résultat va à l'encontre du modèle actuel de la démence, dont le prototype est l'Alzheimer, souligne Giovanni Frisoni. Nos résultats montrent que la démence peut aussi, comme chez nos deux sujets, mener vers de nouvelles compétences ou intérêts intellectuels.»
En 1998, des chercheurs californiens avaient déjà rapporté l'émergence inattendue de talents artistiques chez des patients souffrant de démence, sans pouvoir l'expliquer - la perception de la musique ayant été fort peu analysée d'un point de vue neurologique.
Ce n'est désormais plus le cas. Une étude allemande parue dans le mensuel «Neuroscience» de mai 2001 vient étayer l'hypothèse du Professeur Frisoni. Des chercheurs de l'Institut Max-Planck de Leipzig démontrent que ce sont les mêmes structures cérébrales (les aires de Broca) qui prennent en charge l'analyse de la musique et la syntaxe du langage parlé.
Ces régions spécialisées du cerveau pourraient être le siège du décryptage de toute information complexe répondant à des règles, comme le langage et la musique.
Cette découverte a été obtenue grâce à la résonnance magnétique, une technique qui permet de capter le champ magnétique induit par l'activité électrique cérébrale, et de décrire précisément les événements survenant dans le cerveau lorsque le sujet écoute par exemple de la musique.
Les personnes étudiées par l'équipe allemande n'avaient aucune connaissance musicale particulière. Elles ont dû écouter des suites d'accords. Certains respectaient les règles de la musique occidentale classique, d'autres contenaient un ou plusieurs accords qui sonnaient faux.
Leur constat: la réponse cérébrale à la suite d'accords «faux» était différente de celle déclenchée par la séquence «correcte». De plus, les réactions aux violations dans l'harmonie étaient d'autant plus fortes que l'harmonie était faussée de manière importante.
Peut-on en déduire que les règles musicales sont inscrites dans notre cerveau? Si oui, l'étaient-elles de tout temps, s'y sont-elles installées progressivement, d'autres viendront-elles les remplacer? Autant d'interrogations qui titillent actuellement la curiosité des neurobiologistes.
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